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Bonus - Une petite nouvelle en cadeau​
(attention fin surprise, ne pas spoiler)
​
Vraiment seule…

 

Longtemps, très longtemps, elle avait marché. Aussi loin que pouvait remonter sa mémoire, elle se voyait, avançant toujours. Naissance, enfance, ces mots n’existaient pas pour elle. Elle ne savait pas d’où elle venait, pourquoi elle était là. Elle ignorait si elle était seule, si elle seule pouvait bouger, se déplacer. Elle n’avait jamais perçu une autre vie ; jamais rien, rien autour d’elle que ces immenses grottes de métal dans lesquelles elle marchait lentement maintenant.

Le chemin s’était rétréci. Le bruit incessant était habituel pour elle, seules ses modifications d’intensité la troublaient, et les brusques silences effrayants la faisait courir, fuir. Son unique cadre de vie avait toujours été cet environnement agressif de métal tantôt froid, glacé, lisse, tantôt brûlant, écailleux, insoutenable. Elle ne connaissait que ces labyrinthes aux allées plus ou moins larges, parfois immenses, de construction géométrique, les voies affectant souvent entre elles des angles droits parfaits. Qui avait pu construire un tel lieu et dans quel but ?

Elle progressait maintenant le long d’une paroi en pente douce de métal neuf, dur et argenté. La rouille ne s’était pas du tout attaquée à cet endroit, on n’y trouvait aucune aspérité pour s’accrocher. Elle glissa à plusieurs reprises. Différent du reste du labyrinthe, cette partie du chemin datait manifestement d’une autre époque. Une vois rainurée suivait le tunnel d’argent pour aboutir cette fois en un lieu encore plus ancien que tout ce qu’elle avait connu jusque là. Le contraste était violemment accentué par le manque de transition entre les deux zones. Des roches calcaires suintantes couvraient entièrement les murs incurvés, masquant totalement la matière initiale de la construction. Le passage était extrêmement étroit, obstrué par les pierres poreuses et humides. Elle se décida à boire un peu, à se reposer un instant. Mais à peine s’était-elle arrêtée qu’une secousse brutale ébranla la caverne, alla s’amplifiant de plus en plus accompagnée d’un bruit assourdissant. Les parois tressautaient, vibraient, tout tremblait. Elle s’accrochait de son mieux. Son appui semblait solide. Le mouvement se fit intense, rythmique, presque régulier, comme celui d’une balançoire en accéléré. Elle tenait bon, évitait de penser, seul existait son instinct de survie, unique notion qu’elle gardât, transmise très simplement dans son code génétique.

La roche se mettait à chauffer à présent. Ce fut d’abord un soulagement. La chaleur douce lui redonnait de la force, déliait ses membres engourdis par la tension. Elle s’essaya à avancer un peu, malgré les vibrations incessantes. Elle réussit une progression insensible tandis que la température doucement augmentait. De plus en plus. Jusqu’à devenir insoutenable. Elle se mit à détaler, à chercher une issue, à courir pour ne plus être en contact avec le métal brûlant. Sauter, sauter sur place, trouver une fraction de seconde de soulagement dans l’air qui déjà devenait étouffant. Avancer, il fallait avancer à tout prix. Son instinct de survie…

Survivre, à quoi bon ? Elle était seule. Quelle était le but de l’espère sinon se reproduire ? Comment pouvait-elle se reproduire si elle était seule ? elle venait bien de quelque part. Il y avait bien eu d’autres êtres semblables à elle qui l’avaient procréée. Ils devaient bien se trouver quelque part. A moins qu’ils n’aient tous disparu. Tous brûlés, ou suffoqués dans les grottes de métal. Quel peuple cruel s’amusait à leurs dépens ? Peut-être la voyait-il se trainer dans le labyrinthe et se divertissait-il à la regarder souffrir ? S’il en était ainsi, il venait de prendre pitié, car le sol sous elle devenait tiède à présent, puis froid un peu plus loin. Elle allait s’accorder un instant de repos avant de repartir, de chercher.

Depuis combien de temps errait-elle ? Elle ne savait pas ce qu’était le temps. Elle se souvenait à peine du  moment où elle avait commencé à marcher. Elle n’avait pris pratiquement aucune nourriture depuis. C’était peu après qu’elle ait percé les parois souples de la coquille de l’œuf où elle se trouvait. Puis elle avait grandi et sa couleur avait changé. Elle n’en avait pas eu conscience. Elle avait toujours marché à la recherche d’un but, d’une réalisation d’elle-même, d’une excuse à son existence.

Elle suivait un long chemin parfaitement cylindrique qui remontait en pente abrupte. Elle s’accrochait aux tracicules de rouille, peau écailleuse du métal, quand soudain, elle vit. Elle vit réellement, ou plutôt elle se rendit compte qu’elle avait des yeux. Jusque là, elle croyait voir, car ses autres sens lui permettait de percevoir son environnement. Mais maintenant ses regards couvraient tout ce qui  l’entourait.

Une lumière vive entrait à l’autre bout de la caverne. Elle ralentit, pleine d’appréhension. Elle allait enfin atteindre son but. A quelques pas seulement se trouvait ce qu’elle cherchait depuis toujours. Impossible d’y courir. Qu’y avait-il après ce tournant, dans la pleine lumière. Qu’y avait-il au delà de la pénombre, en dehors de ces souterrains. Prudemment, elle se hissa sur le rebord lumineux et fit deux pas en avant.

Ses sens lui apportaient tous les mêmes indications sur ce nouvel environnement : Uniformité. Uniformité de couleur, de texture, de température. Très loin, partout, très haut autour d’elle, tout était blanc, froid et lisse. Rien, un néant blanc. Pas d’irrégularité, des parois glacées, désespérément polies, verticales à perte de vue. Elle fit le tour de ce lieu sinistre. Il n’y avait absolument rien d’autre, et aucun moyen d’aller plus loin. Elle ne pouvait pas se résoudre à retourner dans les cavernes. Elle resta là et décida de ne plus bouger.

 

La lumière changeait. Pendant longtemps, elle avait vu le blanc briller et maintenant il devenait gris, gris sombre et presque noir. Il disparaissait en apparence, mais elle savait que les murs verticaux étaient toujours là et qu’il était inutile de bouger. Elle se repliait sur son désespoir, quand tout à coup, les parois s’éclaircirent, très brusquement, blanches encore, mais d’un blanc plus jaune. Et cette fois, elle perçut un bruit, un bruit totalement inhabituel, qui n’avait rien de commun avec les discordances produites par les secousses dans les cavernes ; non, un son presque mélodieux, rythmé, continu, et d’autres intermittents qui se greffaient par moment sur l’harmonie ambiante. Et c’est alors qu’elle le vit : un être vivant, gigantesque, immense, imposant. Elle se précipita vers lui, mais se heurta à la paroi, et retomba. Il l’avait vue, il fit un geste vers elle, émit des sons…

  • Zut, il y a une araignée dans la baignoire.

D’autres sons arrivaient d’ailleurs.

  • Tu n’as qu’à la doucher, elle repartira dans les tuyaux.

L’eau arriva, brutale. Elle replia ses huit membres contre son ventre, se laissa aller. Elle repartit vers les cavernes de métal, vers le cauchemar.

Elle savait maintenant qu’elle était vraiment seule.

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