top of page
Le signe du papillon - Chapitre 1

​

Un craquement fait grincer les lattes de bois des escaliers. Puis encore un autre. Et un troisième ! Thomas ouvre les yeux sur l’obscurité. A tâtons, il cherche la lampe de poche qu’il avait laissée allumée avant de s’endormir. Il la retrouve, éteinte, sous son oreiller. Le souffle court, il s’acharne sur le bouton, terrorisé de constater que les piles sont épuisées. Un autre grincement, suivi de murmures étranges qui se rapprochent. Thomas se recroqueville en serrant les couvertures plus fort autour de lui. Soudain un son aigu, cynique, un rire maléfique éclate dans le couloir et Thomas se retient de hurler. Il serre ses bras autour de ses genoux et entame un mouvement de balancier en se raisonnant pour se rassurer. 

- Maman est sortie, mais elle a promis de rentrer vite. Elle va arriver, elle n’est sûrement pas loin. Si seulement elle pouvait arriver… Maman, pourquoi tu m’as laissé tout seul ! Mon Papa aurait pas fait ça. Ou il aurait laissé Pilou avec moi. Pilou me protégeait toujours. Il savait aboyer pour chasser les méchants…

papilloncover_edited.jpg

Maman avait dit à Thomas que Pilou était parti très loin. Comme Papa ? Maintenant Thomas est seul avec Maman… qui n’est pas là. Le jeune garçon mord son poing et des larmes perlent sous ses paupières serrées. 

Les craquements ont cessé. Mais soudain, un rai de lumière se dessine sous la porte, étiré et jaunâtre comme une bouche malsaine. Ou un four, le four de l’enfer, comme dans le dessin animé avec les diables qui dansaient en piquant des gens avec des fourches. Maman riait, mais Thomas était pétrifié de peur. Comme maintenant car les voix se sont arrêtées et il entend le bruit d’une respiration juste derrière la porte. Un léger grattement contre le bois et soudain, le rayon de lumière disparaît, noyant à nouveau la pièce dans les ténèbres. Thomas n’y tient plus, la menace est trop proche. Il se jette au sol avec sa couverture qui amortit le choc, et glisse sous son lit, haletant. Son cœur bat dans sa gorge, dans ses tempes, jusque dans ses yeux. Le temps s’étire, les secondes durent une éternité au cours de laquelle Thomas retient son souffle. Le bruit dans sa tête l’empêche d’entendre ce qui se passe dans le couloir. Au bout de très longues secondes, il relâche l’air de ses poumons et se détend. 

- Oh non ! Maman va me punir. Je vais encore prendre des baffes.

Une flaque humide trempe le drap et la couverture dans lesquels Thomas s’est enroulé. Depuis que Papa est parti, il fait pipi au lit et ça rend maman si furieuse qu’elle ne peut pas s’empêcher de le frapper. Et plus elle le tape, plus il fait pipi au lit. 

Les pensées de Thomas se bousculent. S’il pouvait descendre l’escalier, aller en bas. Il suffirait de mettre le linge souillé dans la machine à laver et de prendre sur le séchoir des draps propres. Si Thomas pouvait y arriver, peut être que maman n’y verrait que du feu. Mais la tâche paraît insurmontable avec les démons qui rodent dans le couloir. Le garçon tend l’oreille et n’entend plus rien. Les minutes s’écoulent et le froid le saisit. La couverture est raide et glaciale et le tissu de son pyjama lui colle à la peau. Impossible de passer la nuit dans cet état. Prudemment, Thomas se lève, en retenant sa respiration. Debout au milieu de la chambre, sa vue s’adapte et il distingue la forme des meubles. 

- Tout va bien, tout va bien, touout va bien…

Le garçon répète ces mots en boucle avant de faire un pas en avant. En tournant la tête, il repère, près de son bureau, une silhouette noire menaçante. On dirait un genre de crapaud avachi, avec des pointes hérissées qui lui sortent du dos. Il est tapi, prêt à bondir. Un des monstres a dû entrer avant que Thomas ne se réveille et attend le moment propice, caché dans le noir. Pour lui échapper, le garçon court vers la porte et l’ouvre d’un coup. Un instant il se retourne et sa peur se dégonfle. Le monstre n’est que son manteau qu’il avait jeté en vrac sur son fauteuil. Les pointes hérissées sont les franges de son écharpe verte posée dessus. Le temps de se rassurer, Thomas se rend compte qu’il est arrivé dans le couloir plus vite que prévu. Mais il n’est pas tiré d’affaire. Chargé de son linge de lit humide, il s’engage prudemment dans l’escalier obscur pour aller vers les ténèbres, là où se trouve la machine à laver… 

Marche après marche, le garçon progresse. Il est dans la jungle, le danger est partout. Il sent le souffle chaud d’un tigre sur sa nuque, et accélère tout en se retenant pour ne pas chuter en courant. Des lianes l’effleurent, une toile d’araignée se prend dans ses cheveux. Il en est sûr, l’énorme mygale n’est pas loin et va lui tomber sur les épaules pour lui injecter son poison mortel. Son pied se pose lourdement sur le sol alors qu’il s’attendait à descendre encore. Il vient d’arriver au rez de chaussée, et la buanderie est toute proche. Encore quelques pas. Eviter les singes qui pourraient le bombarder de noix de coco, et les serpents ou les sangsues qui se laissent tomber des arbres. Sa main se pose sur la poignée qu’il abaisse lentement. Thomas s’engouffre par la porte ouverte pour la refermer derrière lui, haletant. Ici, il peut allumer l’ampoule suspendue. Des ombres étirées s’allongent tout autour de lui, rendues mouvantes par la lumière instable qui se balance. Sans perdre de temps, Thomas ouvre la machine à laver, y engouffre draps et couverture. Il arrache son pyjama souillé qu’il rajoute avant de mettre un comprimé de lessive. Le linge propre est entassé sur une étagère. Thomas, avec soulagement, y trouve un pyjama, celui qu’il aime bien, avec les petites voitures qui font la course dessus. Rhabillé, il fouille encore pour prendre des draps. Pas de couverture, tant pis, son couvre lit fera l’affaire. Mais avant de remonter, Thomas veut vérifier quelque chose. Il se dirige vers la porte d’entrée, et lève la tête. Au crochet à côté du calendrier, les clés de Maman sont suspendues. Ce qui veut dire que Maman est rentrée… Horrifié, Thomas comprend que le monstre a dû la suivre et qu’il est sûrement toujours dans la maison. Il n’a pas attaqué Thomas. Maman est peut être en danger. Que faire ? Thomas remonte doucement, son papa lui avait affirmé que quand il n’était pas là, Thomas était l’homme de la maison et qu’il était responsable de sa maman. En passant devant la porte de sa chambre, il se dit que ce serait si simple d’y entrer, de se blottir dans son lit, d’y cacher sa tête, et de faire semblant que tout va bien. Mais tout ne va pas bien. Il faut vérifier que Maman ne risque rien. Lentement, il avance vers la porte de la chambre de sa mère, et plus il approche, plus ce qu’il entend le déstabilise. 

Le monstre est là. Des grognements sourds accompagnés des gémissements de douleur de Maman meurtrissent ses oreilles. D’autres bruits lui font penser à une lutte sauvage. Et puis Maman se met à crier. Le monstre est en train de la tuer, de se nourrir de ses entrailles, de son cœur. Alors Thomas n’en peut plus. Il lui faut agir. Il s’empare d’un balai qui traine dans le couloir et ouvre la porte d’un coup en poussant un cri guerrier. Une scène d’horreur s’offre à lui.

bottom of page