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La sève des artères - extrait du chapitre 1

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- On y est ! Le Mont perdu ! On campe à mi-hauteur et on devrait atteindre le sommet demain matin.

- Moi je trouve cette montagne bizarre. On dirait un château ! Avec des tours ! Ça me donne des frissons. 

La jeune fille s’adresse à ses deux compagnons d’expédition qui hochent la tête en souriant. Le chef du groupe réajuste son sac à dos et se remet en marche.

- Marion la peureuse. Allez, c’est parti ! A l’assaut du château !

Les trois jeunes gens suivent un sentier qui disparaît très vite dans une végétation dense formée de ronces aux épines agressives. Paul, en tête, peine à se frayer un chemin, poussant des grognements chaque fois que les pointes lui écorchent la peau. Vincent, qui le suit, enchaine les gros mots. Et les cris de douleur de Marion deviennent pénibles aux oreilles des garçons.

- On va plutôt passer par le côté. Ce sera plus long mais moins douloureux. Vers la gauche, on contourne et on cherche un passage.

- Je commence à comprendre pourquoi personne n’escalade cette montagne, grommelle Vincent. C’était trop beau ! Tu l’as trouvé où déjà la carte de cette région.

Paul se rengorge.

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-  A la fac, dans les archives. Elle était glissée dans un vieux livre. Après j’ai regardé sur internet. Il n’y avait rien du tout. Ce pays ne figure sur aucune carte et n’est répertorié nulle part. D’ailleurs, c’est dingue comme l’accès était difficile à trouver. C’est cool, non ?

- Moi j’aime pas trop ça, marmonne Marion. Un pays où on entre par une fissure entre les roches, c’est trop chelou. Je me demande pourquoi je vous ai suivis ! En plus, y a pas de réseau ici ! Comment on fait pour appeler des secours ?

- Oui, plus rien depuis qu’on est là, ajoute Vincent en regardant l’écran de son portable. Faut espérer qu’on n’aura pas besoin d’en appeler, des secours !

- Ce que vous pouvez être chiants tous les deux ! se moque Paul. Moi, je suis sûr que ça vaut le coup. On se fait un selfie ?

- On pourra même pas le publier, grogne Marion en posant avec un faux sourire.

La marche est longue. L’arrêt déjeuner leur offre un repos bienvenu pour régénérer leur énergie. 

- C’était fun tout de même ce village. Je serais bien resté plus longtemps, commente Paul en grignotant son sandwich au saucisson.

- Ils ne doivent pas voir souvent des étrangers. T’as vu comment ils nous regardaient. Surtout toi Marion !

La jeune fille éclate de rire.

- Alors que c’étaient eux qui étaient déguisés !

- Ouais ! Une super reconstitution historique. On se serait vraiment cru il y a deux, trois siècles. Tout le monde avait joué le jeu ! 

- Oui, mais au point de ne pas avoir d’électricité ! J’ai même pas pu recharger mon portable, grommelle Vincent en regardant la barre de la batterie sur son écran. 

- De toutes façons, les portables ne servent pas à grand chose ici. On va dire qu’on fait un jeûne internet, propose Paul, ce qui ne fait pas rire les autres.

- Et j’avance comment sur mes parties en réseau ?

- Bah, t’auras bien le temps de jouer quand on sera rentré. Tiens pendant les cours de droit !

Marion, pensive, contemple l’écran son portable.

- J’espère que Moustache va bien. Je peux même pas prendre de ses nouvelles. C’est un chat sensible et ma mère ne sait pas lui parler.

Un léger frémissement parcourt la peau de la jeune fille quand Vincent vient poser son bras autour de ses épaules pour la réconforter.

- Moustache est un chat courageux, comme toi. Il va bien, c’est sûr. Mais tu dois lui manquer.

Le regard que tous deux échangent est si plein d’intention que Paul préfère se lever en ramassant ses affaires. 

- Bon, allez en route, on n’est pas arrivé.

Les trois jeunes gens avancent moins vite que prévu. L’après midi est court, et une impression désagréable de ne pas avoir progressé prend Paul aux tripes. Quand la lumière commence à baisser, annonçant le soir, ils n’ont pas encore pris d’altitude. Cependant, les épines ont disparues et le chemin devient possible. Des arbres tordus, de hauts buissons leur permettent d’aller de l’avant, même si de nombreuses branches noueuses semblent s’ingénier à rendre leur progression chaotique.

- Une minute, demande Marion. J’ai une épine dans ma semelle. 

La jeune fille s’assied sur une large pierre plate pour vérifier son soulier. Et c’est alors qu’elle remarque une étrange inscription.

- Mais, c’est quoi ça ? On dirait…

Le cri strident de la jeune fille fait sursauter les garçons. 

- Une tombe. Je suis assise sur une tombe. Et là regardez, il y en a d’autres, toutes cassées. On est dans un cimetière. 

Très agitée, elle se relève, les yeux roulant autour d’elle.

- La femme, au village, elle nous a mis en garde. Et tous les gens qui nous regardaient comme si on était fou de vouloir escalader cette montagne… J’en ai assez, je veux rentrer…

Paul l’attrape par les bras et la secoue.

- Ça va ! Arrête ça tout de suite. Cette femme, elle avait l’air un peu dérangée. On va traverser et on ira camper plus loin. 

Tendus, les trois jeunes gens reprennent leur marche. La forêt devient plus touffue et comme la nuit est tombée, l’obscurité ne leur facilite pas la tâche. L’inquiétude de Paul devient tangible. Il a l’impression d’être déjà passé aux mêmes endroits et de tourner en rond. Avec son couteau, il fait des entailles dans quelques arbres reconnaissables. Et effectivement, au bout d’une vingtaine de minutes, sa lampe éclaire les marques qu’il a faites précédemment.

- Merde, rage Paul, on tourne en rond !

- Mais non, c’est pas vrai, pleurniche Marion, j’en peux plus !

- Ah, il ne manquait plus que ça ! rajoute Vincent.

La bruine qui rendait leur progression désagréable vient de se transformer en une pluie qui s’amplifie pour devenir torrentielle.

- On ne peut pas continuer comme ça, il nous faut un abri. 

Paul cherche autour de lui, et soudain, au milieu d’un entrelacs de branches et de feuilles sèches, il repère une porte en fer forgée.

- Ah ben voilà, on va pouvoir se mettre au sec.

Le jeune homme secoue la grille. Sa capuche protège sa tête, mais son visage ruisselle. Les deux autres attendent, la tête rentrée dans les épaules. Enfin la porte cède, et Paul bascule à l’intérieur.

- Et voilà. Allez, on entre…

Tous trois se précipitent dans l’espace étroit et obscur. 

- C’est pas très grand, je me demande…

Mais Vincent n’a pas le temps de finir sa phrase, Marion est devenue hystérique.

- C’est un caveau, une saleté de tombe, voilà où on est. Moi je reste pas là, panique la jeune fille.

- Tu préfères être dans un cimetière sous la pluie ? On attend que ça se calme et on s’en va…

Marion se cogne partout et crie dès qu’elle entre en contact avec un objet. En tremblant nerveusement, Paul sort son téléphone pour éclairer les lieux. Des urnes sont posées dans des niches le long du mur, et au centre de la petite pièce, une tombe en marbre noire occupe l’espace. Réveillées par la lumière, une nuée de chauve souris s’affolent dans l’espace étroit. Les garçons s’accroupissent en rabattant leur capuche sur leur visage, mais Marion hurle et se débat. En faisant des moulinets avec ses bras, elle renverse une urne qui s’abat au sol. Puis dans un long cri, elle disparaît.

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